Contexte
Les moteurs à propergol solide (Solid Rocket Motors SRM) sont utilisés dans la propulsion des lanceurs spatiaux et des missiles stratégiques et tactiques. Comme la plupart de ces missions ne nécessitent pas la sophistication de redémarrages multiples ou d'opérations de régulation, la propulsion solide devient un choix intéressant en raison de son inhérente sécurité, sa fiabilité, sa simplicité, son impulsion de haute densité, son entretien minimum et son faible coût.
Le principe de fonctionnement est relativement simple : un bloc de propergol solide (sous forme de poudre) est stocké dans un réservoir ou enveloppe traversé par un canal longitudinal qui servira de chambre de combustion lorsque l’allumeur, situé à la surface du bloc, déclenche la réaction. En brûlant, la poudre de propergol produit des gaz sous haute pression passant par le canal longitudinal et sortant par la tuyère. En donnant une forme de convergent/divergent à cette tuyère, on peut modifier la poussée délivrée par le moteur.
La combustion du propergol solide contrôle les conditions de fonctionnement du moteur via le taux de combustion en fonction de la pression de la chambre et de la sensibilité à la température. La compréhension des mécanismes de combustion des propergols solides est donc un domaine d’intérêt important pour le concepteur de grain solide.
Dans le cadre des lanceurs spatiaux, de grands moteurs sont utilisés (boosters d'Ariane 5 par exemple) et sont soumis à des oscillations de pression et de poussée dont l'origine repose sur le couplage entre les instabilités hydrodynamiques et les premiers modes acoustiques longitudinaux de la chambre de combustion. L'ONERA, en collaboration avec ArianeGroup et le CNES, a étudié en profondeur ce phénomène physique au cours des deux dernières décennies afin de proposer des solutions pratiques permettant de les supprimer, ou tout au moins d'en réduire les amplitudes.
L'ajout de poudre d'aluminium dans le propulseur améliore la performance de poussée, mais conduit à la formation de gouttelettes d'oxyde d'aluminium liquide et produit donc un écoulement diphasique dans la chambre. Cet écoulement diphasique peut avoir un impact sur les oscillations de pression et peut entraîner des problèmes tels que l'accumulation de scories, l'érosion de la tuyère, etc.
Par ailleurs, les propergols solides métallisés ont des températures de flamme finale plus élevées et donc des intensités de rayonnement plus élevées que les propulseurs non métallisés. Cette contribution supplémentaire au flux de chaleur appliqué sur la surface du propulseur est souvent ignorée par les chercheurs et peut conduire à des écarts dans les valeurs mesurées et températures de gaz prévues.
La turbulence peut jouer un rôle important dans la chambre du moteur, et sa prévision reste une tâche difficile, en raison de l'écoulement induit par l'injection de masse à partir de la surface du propergol et du couplage avec les ondes acoustiques. Les simulations numériques réalisées en approche RANS, et plus récemment LES, montrent que modéliser la transition vers la turbulence dans les moteurs à propergol solide reste encore aujourd'hui un challenge.
Écoulements diphasiques induits par les particules d'alumine
La poudre d’aluminium est généralement introduite dans le propulseur en proportion importante afin d’augmenter la température de la flamme et donc la performance du moteur. Cependant, le gain attendu est diminué par le présence d’une quantité massive, dépassant souvent 30% en masse, de résidus d’oxyde d’aluminium et de fumée dans les produits de combustion.
Ingrédients pour la simulation
La simulation de ces écoulements diphasiques met en jeu le solveur Navier-Stokes CHARME et les solveurs de phase dispersée SPARTE (approche lagrangienne) et SPIREE (approche eulérienne). La taille des particules est un élément clé pour capter correctement les interactions avec le gaz porteur, et entre les particules. La modélisation inclut la description de la distribution initiale polydisperse en taille, et ses évolutions dans la chambre et la tuyère résultant des interactions avec le gaz et entre particules. Des modèles dédiés de coalescence et de fragmentation ont été implémentés, en supplément des modèles classiques d'interaction gaz-gouttes. On utilise par ailleurs une approche sectionnelle, basée sur une modélisation continue par morceaux de la distribution de tailles de particules définie sur des intervalles (sections) fixes.
Validation
Les expériences fournissent les données d'entrée pour les modèles numériques ou des cas de validation pratiques, permettant de tester à la fois les modèles et la stratégie numérique. Elles sont équipées de divers dispositifs de mesure, de collecte d'information, d’analyse et de visualisation.
Répartition initiale de la taille des gouttelettes et des résidus d’aluminium, temps de combustion des gouttelettes, caractéristiques de leur mouvement initial, distribution de leur taille dans le panache sont quelques exemples d'informations utiles ou de données de validation collectées à partir d'expériences dédiées. Par exemple, la distribution granulométrique des résidus d’oxyde d’aluminium et de la fumée présente dans les produits de combustion sont obtenus avec la configuration dite KeRC développée par le Centre de recherche russe Keldysh et reprise à l'ONERA [1].
Résultats de simulation marquants
La comparaison des distributions de taille de particules entre la simulation CEDRE et le montage KeRC témoigne de la capacité du logiciel à bien reconstruire l'écoulement interne et les interactions gaz-gouttes. Elle est obtenue en injectant numériquement une distribution bi-modale de particules de diamètres moyens 1μm et 15μm.
Turbulence dans la chambre
Ingrédients pour la simulation
La simulation des écoulements turbulents dans la chambre d'un moteur à propergol solide requiert une approche instationnaire et compressible, afin de tenir compte des effets du nombre de Mach sur la turbulence et les interactions des ondes acoustiques avec les tourbillons. Dans ce but, le solveur Navier-Stokes CHARME inclut des modélisations aux grandes échelles LES (Large Eddy Simulation) ou MILES (Monotonic Integrated LES).
Validation
Le banc « c1xb » de l'ONERA est un petit moteur à propergol solide conçu pour développer un phénomène de lâcher tourbillonnaire fixé sur le premier mode axial, représentatif de ceux observés sur certains grands moteurs.
Type d'expériences et de données mesurées
Les moyens informatiques HPC actuels ont permis la réalisation d'un calcul tridimensionnel de la configuration expérimentale « c1xb » avec CEDRE. Les maillages comportent de 200 000 à 1 milliards de cellules, nécessitant jusqu'à plus de 4 000 processeurs Haswell du supercalculateur Occigen au CINES et 1 millions d'heures CPU. Pour le maillage le plus fin, la taille de maille est cinq fois plus petite que l'échelle de Kolmogorov, on se rapproche donc d'une DNS (Direct Numerical Simulation). Le tracé du critère Q permet de mettre en évidence les structures turbulentes.
Echanges radiatifs dans la chambre
Ingrédients pour la simulation
Les gaz chauds et le mélange de particules issus de la combustion de propergol solide aluminisé est un milieu semi-transparent qui émet, absorbe et diffracte du rayonnement. Les espèces gazeuses prises en compte dans la simulation radiative ont H2O, CO2, CO et Hcl. Les particules d'alumines contribuent également, en proportion plus élevée que les gaz. Les conditions de température sont proches de 3600 K et la pression varie dans la plage 3 à 15 MPa, conduisant à un milieu optiquement épais. La longueur d'extinction typique est de l'ordre de 1 mm [2]. Les flux radiatifs en paroi vont donc dépendre fortement de la température, de la fraction volumique et de la taille des particules dans la couche limite.
Les propriétés radiatives des gaz sont modélisés par des modèles de type box, comme ceux proposés par Duval ou Joumani. Pour les particules, on utilise la théorie de Mie pour évaluer les coefficients d'absorption et de diffraction, et le modèle de Dombrovsky pour établir la dépendance de l'indice de réfraction complexe à la longueur d'onde et la température. Ces modèles ont été implémentés dans les deux solveurs radiatifs de CEDRE : ASTRE, qui utilise l'approche statistique Monte-Carlo, et REA, basé sur la méthode des ordonnées discrètes.
La distribution en taille de particules d'alumine s'obtient à l'aide d'un des deux solveurs de phase dispersée, SPIREE et SPARTE.
Validation
Un banc d'essai de l'ONERA permet de comparer les températures des gaz donnés par la simulation incluant les échanges radiatifs. Il consiste en un allumeur dans un générateur de gaz cylindrique et une conduite parallélépipédique perpendiculaire contenant un propergol d'essai pour étudier la propagation de la flamme.
Résultats de simulation marquants
Une étude numérique [3] a montré que pour du propergol composite AP/HTPB contenant 17 % d'aluminium, la contribution radiative au flux de chaleur total à la surface du propergol varie de 10 % à 25 %. Des comparaisons de simulations instationnaires d'allumage de propergol avec et sans prise en compte du rayonnement mettent en évidence l'accroissement notable de la température des gaz, donc un allumage plus rapide et une propagation de flamme modifiée.
Aller plus loin
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter l'article Recent Advances in Research on Solid Rocket Propulsion, AerospaceLab Journal, Issue 11, June 2016
Références bibliographiques
[1] J. Hijlkema, P. Prévot. Numerically-Assisted Particle Size Distribution Measurements in Reduce-Scale Solid Rocket Motors. Journal of Propulsion and Power, 31 (2) 714-724, 2015.
[2] R. Duval. Transferts radiatifs dans les moteurs à propergol solide. Ph.D. Thesis, École Centrale Paris, 2002.
[3] J.M. Lamet, Y. Fabignon, L. Tessé, J. Dupays, E. Radenac. Modeling of Propellant Combustion with Nano-Sized Aluminum Particles. Proceedings of the 5th European Conference for AeroSpace Sciences (EUCASS 2013), Munich, Allemagne, 1-5 juillet 2013.
Edité le : 5 avril 2019